mercredi 17 août 2011

GESTION DES DECHETS AU SENEGAL: SOPROSEN pour ôter l’or des ordures aux collectivités locales


Un projet de loi déposé sur la table des députés va consacrer la création d’une Société pour la propreté du Sénégal (SOPROSEN) chargée «du nettoiement et de la gestion de l’ensemble de la filière ordures sur l’étendue du territoire national». Ce, au détriment des collectivités locales et de l’Agence nationale pour la propreté du Sénégal (APROSEN).

Exit les collectivités locales dans la gestion des ordures. Place à la Société pour la propreté du Sénégal (SOPROSEN). Tel en a décidé l’Etat qui, à travers le ministère de la Culture, du genre et du Cadre de vie, a déposé un projet de loi à l’Assemblée nationale pour autoriser «la création d’une société à participation publique majoritaire dénommée la Société pour la propreté du Sénégal (SOPROSEN S.A.), régie par les dispositions de la loi N°90-07 du 26 juin 1990 relative à l’organisation, au contrôle des entreprises du secteur parapublic et au contrôle des personnes morales de droit privé bénéficiant du concours financier de la puissance publique». Une société à qui «reviendra la charge d’appliquer la politique définie par l’Etat en matière de ramassage et de traitement des ordures».

Dakar perd son statut spécial et ses 10 milliards

«Investie d’une mission de service public», la SOPROSEN est «chargée du nettoiement et de la gestion de l’ensemble de la filière ordures sur l’étendue du territoire national». Selon le projet de loi dont Enquête détient copie, la nouvelle société «assure la maîtrise d’ouvrage déléguée pour l’Etat et les collectivités locales, des opérations de nettoiement des lieux publics et de gestion des ordures ainsi que des équipements et infrastructures y afférents. A ce titre, l’Etat, et le cas échéant, les collectivités locales, met à la disposition de la société pour la propreté du Sénégal les ressources matérielles et financières requises pour l’exercice de cette mission, notamment celles issue de la taxe sur les ordures ménagères collectées à cet effet».
En effet, la SOPROSEN est chargée d’«assurer, pour le compte de l’Etat, des Collectivités locales et des personnes prives ou morales, toutes les activités de nettoiement public, de pré-collecte, de collecte, de transport, de transformation/ valorisation et de stockage des ordures solides».

Un capital détenu à 70% par l’Etat et les Collectivités locales

De «mettre en place une filière de gestion des déchets biomédicaux et des déchets d’abattoirs, aux fins de leur élimination, dans des conditions compatibles avec une saine gestion de la santé des populations et du respect de l’environnement». Mais aussi de «gérer l’ensemble des équipements et des infrastructures de gestion des ordures sur le territoire national» et de «veiller de manière permanente sur les normes et actions de salubrité publique, pour assurer un cadre de vie favorable à la santé et à l’épanouissement des populations ainsi qu’à la préservation de l’environnement».
Le projet de texte prévoit que «l’Etat et les Collectivités locales détiennent au moins 70% du capital de la société. Le reste est détenu par des personnes morales de droit public ou privé, toutes autres entreprises du secteur parapublic intéressées par la propreté, la salubrité et l’hygiène publique». Mieux, «les statuts de la société précisent les règles de l’organisation et de fonctionnement de la société pour la propreté du Sénégal. Ils sont approuvés par décret». Enfin, le document indique que «sont abrogées toutes dispositions contraires à la présente loi». Le texte vise principalement loi 96-06 du 22 mars 1996 portant Code des collectivités locales), la 96-07 du 22 mars 1996 portant transfert de compétences aux régions, aux communes et aux communautés rurales et la 2002-15 du 15 avril 2002 modifiant l’article 29 de la loi 96-07 qui donne à la région de Dakar un statut spécial permettant à l’Etat d’injecter quelque 10 milliards de francs Cfa par an.

Les raisons d’une spoliation

Ainsi, si le projet passe, ce sera une méga structure qui va chapeauter les ordures sur au niveau de toutes les collectivités locales. Et pour justifier cette spoliation en règle, l’Etat soutient dans l’exposé des motifs du projet de loi que «la gestion des ordures est devenue en enjeu majeur de la politique nationale, notamment en matière d’environnement et de santé publique ». Et que «la loi numéro 96-07 du 22 mars 1996 qui transférait cette compétence aux collectivités locales, n’a pas été du tout un modèle de réussite dans son application ». Pis, «la la situation (qui) prévalait dans ces mêmes collectivités locales aura empiré gravement». Ainsi, «la volonté manifeste du gouvernement, plusieurs fois affirmée à trouver une solution durable au problème, n’aura pas suffi». Et va même créer «trois problèmes». Premièrement, il y a «une discrimination inopportune dans les collectivités locales au seul bénéfice, de Dakar, (qui) pourrait laisser croire indûment que les autres régions seraient des laissés pour compte en matière d’environnement et de santé ». Le second problème réside dans «une prise en compte incomplète de la typologie des ordures » notamment les déchets biomédicaux et les déchets d’abattage, par exemple, qui «ne sont pas traités comme des cas spécifiques». Enfin, il y a «l’absence fort préjudiciable d’un schéma efficient de recyclage et de valorisation des déchets solides alors même que c’est là un point nodal à traiter».


Vers la disparition de l’Entente CADAK-CAR et le recyclage de l’APROSEN

L’arrivée de la Société pour la propreté du Sénégal (SOPROSEN) dans la gestion des ordures aura au moins deux conséquences dans le secteur. La première, c’est la mort de l’Entente CADAK-CAR, la structure regroupant les collectivités locales des départements de Dakar et de Rufisque. En effet, cette autorité créée sur les cendres de la Communauté urbaine de Dakar avait commencé, après plusieurs errements, à sortir la tête … hors des déchets en lançant un appel d’offres international pour la gestion des ordures dans la région de Dakar. Le dépouillement de cette procédure est même prévu, selon non sources, dans la semaine.
La seconde victime, c’est l’Agence pour la propreté du Sénégal qui, d’après nos informations, pourraient se recycler dans la SOPROSEN. En effet, si la loi passe, toutes les prérogatives et compétence de l’APROSEN passeront entre les mains de cette société privée. D’ailleurs, l’Etat avait voulu, à travers le décret 2001-329 (décret du reste jamais publié) portant réorganisation et fonctionnement de l’APROSEN, transférer la gestion des ordures à cette agence.
Par ailleurs, l’APROSEN approuve la création de la SOPROSEN. En effet, dans «une note sur le projet» de création de cette société privée, l’APROSEN, a souligné que «l’insalubrité règne en maitre autant dans les communes de la capitale que partout ailleurs au Sénégal». Selon l’APROSEN, «le coût onéreux des équipements et des infrastructures de gestion des déchets et les charges de leur fonctionnement sont hors de portée des collectivités locales prises individuellement».


KHALIFA SALL, MAIRE DE LA VILLE DE DAKAR
«C’est Dakar qui est particulièrement visée dans cette procédure»


C’est un Khalifa Sall amer et étonné de la création de la Société pour la propreté du Sénégal (SOPROSEN) qu’EnQuête a joint hier. Le Maire de la ville de Dakar n’a pas mâché ses mots face à cette initiative qui, à l’en croire, remet en cause «la pertinence du principe de la libre administration qui régit les collectivités locales». «Je pense d'ailleurs que Dakar qui est particulièrement visée dans cette procédure », dit Khalifa Sall qui poursuit : «Maintenant nous allons réagir. On va se réunir au niveau national, c'est-à-dire dans le cadre de l'Association des maires du Sénégal et de l'UAL et de l'Entente Cadak-Dakar pour apporter une réponse appropriée à ces dérives. Il faut qu'on élargisse le champ de notre réaction au niveau national parce que la loi vise toutes les collectivités locales».
«Je suis étonné. Dans tous les pays du monde, les ordures relèvent des collectivités locales qui sont responsables en la matière. Maintenant, on change la loi et on nous créé une nouvelle société dans laquelle l'Etat et les collectivités locales sont actionnaires. On nous enlève une compétence et on nous oblige à adhérer dans une société », dit M. Sall qui ajoute : «On doit donc se poser la question de la pertinence du principe de la libre administration qui régit les collectivités locales ». Pour lui, ce projet de loi est «un recul grave par rapport à la loi sur la décentralisation de 1996 ».

«Logique politique de contrôler les collectivités locales perdues en 2009»

La cause de cette «régression terrible », Khalifa Sall estime qu’elle est «peut-être motivée par le crédit de la Banque islamique de développement (BID) qui prévoit d'acheter 300 camions bennes pour le ramassage des ordures». Mais derrière ce recule, le premier magistrat de la ville de Dakar voit «aussi une grosse contradiction par rapport aux propos que le président Wade a toujours tenus. Il parle de consolider la décentralisation, mais il fait autre chose. Dans ce contexte, que vaut par exemple son idée de provincialisation ? C'est tout le décalage qui existe entre le discours du Président Wade et les faits. Il initie de nouveaux découpages administratifs pour reprendre des zones perdues sur le plan électoral, au moment où il fait l'éloge de la centralisation».
De façon général, Khalifa Sall considère ce projet de loi comme «le troisième recul qu'on inflige aux collectivités locales depuis 2009. Il faut se rappeler en effet qu'on nous a retiré presque tout dans le domaine du lotissement avec le nouveau Code de l'Urbanisme. Wade a ensuite procédé à de nouveaux découpages administratifs dans un but politique. Tous ces actes rentrent dans la même logique politique qui est de contrôler les collectivités locales perdues en 2009. C'est dangereux et inquiétant ».
Bachir FOFANA
(Article paru dans l'édition du 16 août 2011 du quotidien ENQUETE)

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